Jean Dularge [1965-1967]
English texts follow (in italicized blocks).
Vidéo : Extrait du long-métrage bilingue. Excerpt from the full length bilingual film.
En avril 1967, le chansonnier acadien Jean Dularge n’a pas enregistré un 45 tours de sa chanson Viens voir l’Acadie. Il n’a pas non plus été le premier artiste à être représenté par les Disques Acadisco, et il n’a pas été dans l’obligation de retirer son disque du marché suite à une dispute avec un détenteur de licence.
In April, 1967, Acadian singer-songwriter Jean Dularge did not record his 45 single “Viens voir l’Acadie”. He was not the first artist signed by Les Disques Acadisco (label), nor was he required to cancel the release of his song due to a supposed copyright dispute.
Hier semble si loin / Chapitre 4 / Jean Dularge présentée à la Galerie de l’UQAM (2020). Photo : Rémi Belliveau. Cliquer pour faire déferler les photos.
Hier semble si loin / Chapitre 4 / Jean Dularge (2020)
Hier semble si loin / Chapitre 4 / Jean Dularge est un projet d’historiographie expérimentale de l’artiste acadien Rémi Belliveau, dans lequel une fiction historique est performée et insérée dans l’histoire fragmentaire et peu connue du rock dans les communautés acadiennes du Nouveau-Brunswick. Ancré dans plusieurs années de recherches et de collecte d’artéfacts, le récit qui en émerge[1] cherche à valider la nature hybride et mouvante de l’acadienneté en revendiquant son droit à ne pas s’identifier avec ni l’une ni l’autre des cultures musicales dominantes de l’Est du Canada, soit anglo-maritimer ou franco-québécoise.
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[1] Ce récit se déploie en cinq chapitres, soit Chapitre 1. Quand le soleil dit bonjour aux montagnes du comté du N.-B. : La musique old-timey des Bunkhouse Boys & Shirley; Chapitre 2. Teenage Time with Cliffy Short, Jerry Banks and Ted Daigle : La jeunesse acadienne à l’ère d’Elvis Presley; Chapitre 3. « She loves you, yé, yé, yé » : Les Swinging Sixties en français (s’il vous plait); Chapitre 4. Jean Dularge; et Chapitre 5. Facing the Day : La promesse du 70s rock.
Documentation vidéo d’Hier semble si loin / Chapitre 4 / Jean Dularge présentée à la Galerie de l’UQAM (2020).
Yesterday Seems so Far Away / Chapter 4 / Jean Dularge (2020)
Yesterday Seems so Far Away / Chapter 4 / Jean Dularge is an experimental historiographic project by Acadian artist Rémi Belliveau, wherein a historic fiction is performed and inserted into the fragmented and little-known history of rock ‘n roll in New Brunswick’s Acadian communities. Based on years of research and artefact acquisition, the artist weaves a story[1] that seeks to validate the hybrid, ever-changing nature of Acadianess, while actively eschewing identification with either of the region’s dominant musical tropes, i.e. the anglo-Maritimer or franco-Québécois musical cultures.
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[1] This story unfolds over five chapters: Chapter 1. When the sun says hello to the mountains of NB: the old-timey music of The Bunkhouse Boys & Shirley; Chapter 2. Teenage Time with Cliffy Short, Jerry Banks and Ted Daigle: Acadian youth in the age of Elvis Presley; Chapter 3. “She loves you, yé, yé, yé”: The Swinging Sixties en français (s’il vous plait); Chapter 4. Jean Dularge; and Chapter 5. Facing the Day: The far away promis of 70s rock.
Entrevue produite par la Galerie de l’UQAM.
Hier semble si loin (2021), extrait du livre édité par les presses de la Galerie de l’UQAM
« On a dit de Bob Dylan qu’il a été le poet of a generation (titre qu’il a d’ailleurs toujours réfuté) parce qu’il utilisait à grand effet la chanson comme véhicule de résistance politique auprès d’une jeunesse de plus en plus mobilisée face aux luttes sociales des années 1960. Partout en occident, des chansonnières et chansonniers se sont inspiré·e·s du modèle proposé par Dylan : Donovan en Angleterre, Joni Mitchell au Canada, Louise Forestier et Robert Charlebois au Québec. La plupart sont devenus célèbres. Et pourtant, très peu sont celleux qui conservent le souvenir de Jean Dularge, leur homologue acadien.
Disque 7
Jean Dularge
Viens voir l’Acadie / D’après une chanson de Bob Dylan (1967)
Les Disques Acadisco (Memramcook), No. A-100
Afin de comprendre l’échec de Jean Dularge, il faut comprendre le contexte de l’Acadie avec laquelle sa brève carrière (1965-1967) a été en relation. À l’époque, l’industrie de la musique acadienne telle que nous la connaissons aujourd’hui n’existait pas. Un·e artiste aurait pu enregistrer un disque dans une station de radio comme l’avait fait Ted Daigle, mais les grosses productions de studio qu’ont connu les baby-boomers acadien·ne·s dans les années 1970 se retrouvaient toutes au Québec (je fais ici référence à Édith Butler (la toute première, avec l’album Chansons d’Acadie (Radio Canada, No. 390) en 1969), Raymond Breau, Georges Langford, Donat Lacroix, Angèle Arsenault et Calixte Dugay).
Avant cette deuxième grande vague de professionnalisation (suivant celle du country dans les années 1930 et 1940), les artistes acadien·ne·s œuvrant à l’extérieur d’un réseau établi, comme c’était le cas pour Jean Dularge, devaient composer avec peu de moyens. Plutôt qu’une gérance expérimentée, celui-ci était épaulé par une petite équipe administrative issue du Collège Saint-Joseph de Memramcook qui, en 1967, avait fondé Les Disques Acadisco afin d’éditer sa musique. Avec des fonds octroyés par les Pères de la Congrégation Sainte-Croix, ce premier label d’origine acadienne s’est organisé pour mettre sur pied un studio d’enregistrement dans la vallée de Memramcook (la MRC ou Memramcook Recording Company – toujours active) avec l’aide et la direction d’un producteur anglophone recruté en Nouvelle-Écosse, un percussionniste nommé Harry Trask.
Les sessions d’enregistrement pour le disque de Jean Dularge ont eu lieu en avril 1967 avec la participation d’une dizaine de musicien·ne·s, notamment ses collaborateur·rices de longue date Adam Savoie (organiste, reconnu aujourd’hui comme poète) et Flora Bourque (bassiste). Également présent·e était un·e inconnu·e avec sa caméra 16mm qui tournait des images promotionnelles à la demande d’Acadisco. Deux chansons ont été enregistrées : Viens voir l’Acadie et D’après une chanson de Bob Dylan, la deuxième étant une réécriture d’un titre inédit de Dylan (la chanson Tell Me, Momma) que Jean aurait apparemment entendu en spectacle à la Place-des-Arts de Montréal le 20 février 1966.
Malheureusement, la production du disque fut précipitée par l’enthousiasme d’Acadisco malgré le fait qu’aucune licence n’avait été acquise pour l’édition d’une reprise de Dylan. Quand la licence fut éventuellement refusée en raison d’un texte (en chiac) jugé trop altéré, il était déjà trop tard. À la veille du lancement officiel, des caisses de disques fraichement pressés devaient être détruites afin de ne pas courir le risque d’une poursuite judiciaire. Seules les copies promotionnelles qui avaient été envoyées aux stations de radio avant cette intervention drastique ont survécu, et ce sont ces rares copies qui permettent l’écoute des chansons de Jean Dularge aujourd’hui (les pellicules 16mm conservées par Acadisco contiennent également ses chansons, mais elles demeurent inaccessibles au public). Le chansonnier n’a rien produit par la suite, et c’est bien dommage, car Viens voir l’Acadie et D’après une chanson de Bob Dylan sont des chansons politiques et engagées, très près du style de Dylan, qui revendiquent l’identité acadienne au travers d’une poésie chiac, et ce dix ans avant leur successeur lyrique 1755 ».
Jean avant Joan. Jean before Joan, 1967. Photo : Annie France Forget
Excerpt from the eponymous short story
Link to complete text, archived in Écrits & Édition.
February 20th, 1966
Jean’s palms are so damn sweaty he can barely take it. His arms are folded around his chest, trying to conceal the tape recorder hidden in his jacket, as he stands in line at Place des Arts, waiting to go see his idol Bob Dylan. It’s no secret that the infamous folk rocker has gone electric – his last two albums state that pretty clearly – but it’s less known in Quebec that his electric performances have been gaining almost unanimous boos across the US, and Jean is about to find out why.
Having now passed through the gate without question or odd glance, the Acadian singer can finally begin to relax. Although he doesn’t really know why, his plan is to record Dylan’s performance in it’s entirety: perhaps to study, perhaps to cover, or at the very least to preserve it’s memory. As he takes his seat, he can’t help but notice the clashing mix of teen beat boppers, here to see the singer of Like a Rolling Stone, sitting alongside well-dressed college students, here to see the singer of Blowing in the Wind. Although camped in clear opposition, both groups buzz in anticipation for whichever version of Dylan is about walk out on that stage.
Then it happens. Like a lightning bolt, the crowd roars out the second that Dylan, all androgyny and gaunt, marches his Cuban-heeled silhouette to a lone microphone at center stage, carrying with him acoustic guitar and harmonicas in tow. During the whole first half, he plays his acoustic guitar alone, and Jean sits there in his seat, reels spinning, holding each impulsive clap, as to not add noise to the already bad recording. Some of these songs are old, but some of them are new, and Jean tries to catch the words through the distortion of loud speakers and the occasional howl of angry folk purists. His new songs are long, and the set feels endless.
No one in the crowd knows it, but Dylan’s acoustic set has just now come to a close. Fans are still clapping when he suddenly takes off his guitar, handing it to a tech off stage as members of The Hawks walk towards their respective instruments – it’s the electric set. Dylan, back turned to the crowd, then begins to bounce and stomp as he loosely strums a dry melody on his telecaster, giving drummer Mickey Jones the desired tempo. An almost inaudible ‘‘One, two, three, four’’ is heard before a pistol shot snare hit cues the band to blast through the gates, driven by Garth Hudson’s blaring organ lines. The whole thing just about throws Jean right off of his seat. With reels spinning wildly, he sits there in amazement as he listens to Tell me, Momma for the first time.
Vues de l’exposition du Prix Sobey 2021. Photo : Musée des beaux-arts du Canada. Cliquer pour faire déferler les images.
AUJOURD’HUI REMONTE À HIER.
(RÉ)ÉCRITURE DE L’HISTOIRE ACADIENNE DANS L’ŒUVRE DE RÉMI BELLIVEAU
Extrait du texte de nisk Imbeault produit pour la publication du Prix Sobey 2021
« Dans plusieurs œuvres, Belliveau adopte une approche qui revisite l’histoire, abordant le fait que pendant quelques centaines d’années, l’Acadie n’avait pas les moyens de documenter sa/ses propre(s) histoire(s). Le passage d’une histoire orale à une histoire écrite s’est fait tard, instillant un perpétuel désir de se rattraper en quelque sorte à la culture dominante. Pour iel, performer dans la marge de la culture hégémonique, même sous la forme de la représentation, participe de l’autodétermination. Son œuvre opère dans le simulacre et sème explicitement la confusion ; elle brouille les pistes, déconstruit, voire discrédite, l’hégémonie de l’histoire.
Enter : Jean Dularge. Le nom donné à ce personnage fictif de la chanson acadienne est un charmant jeu de mots et un clin d’œil au peuple acadien, soit « les gens du large ». Puisque la société acadienne n’était pas outillée pour générer ce personnage alors que la musique populaire de l’époque était transformée par des artistes influentes telles que Joan Baez et Joni Mitchell, l’invention de Jean Dularge est un moyen pour Belliveau d’inscrire dans l’histoire un chaînon manquant et de combler une brèche sociohistorique. Ce projet prend la forme d’une recherche historiographique expérimentale qui comprend la production d’archives : qu’advient-il si l’idée de l’existence et de l’influence d’un chansonnier acadien, politiquement engagé, est mise en scène et performée à son plein potentiel? Bien que la constitution d’archives soit menée avec beaucoup d’attention – ce qui donne crédibilité à la fiction –, l’apparence (ou les traces) d’anachronismes importe pour que le geste, l’acte autodéterminant, soit pris en compte.
Pour l’artiste, partir du présent pour réécrire le passé et y intégrer une autre réalité permet de gagner en agentivité. Parmi toutes les raisons possibles expliquant le fait qu’il n’y a jamais eu de chansonnières ou de chansonniers politiques en Acadie, on peut évoquer l’insécurité langagière et l’absence d’une reconnaissance identitaire profonde, causes peut-être aussi de l’inconfort – ou « la petite gêne » comme le nomme l’artiste – ressenti par les talents acadiens qui pouvaient mal s’imaginer porter un discours politisé. Par ailleurs, puisque le domaine de l’enregistrement en Acadie a connu des lacunes jusqu’aux années 1970, les icônes potentielles étaient alors difficilement accessibles et la diffusion de leur discours, impossible. La démarche de Belliveau inclut un projet d’écriture de l’histoire du rock acadien dans une publication portant le titre Hier semble si loin et dans laquelle est consignée la fiction de Jean Dularge. Cette histoire se veut une commémoration d’une époque révolue, d’une scène artistique écartée de la mémoire collective. Jean Dularge incarne dès lors toutes ces histoires oubliées. »
CKCW Moncton / The Little General / 3 février 1969 (2022)
« Dans CKCW Moncton / The Little General / 3 février 1969, Rémi Belliveau propose aux public d’écouter une archive numérisée telle qu’elle fut gravée en hiver 1969 par l’animateur de radio Ron Bourgeois alias The Little General sur les ondes de CKCW à Moncton (N.-B.). Le choix de l’artiste d’éviter toute intervention peut être perçu comme un geste revendicateur qui cherche à faire la lumière sur l’apport du premier grand partisan du rock en Acadie, Ron Bourgeois, mais également de celui de tou.te.s ces artistes du rock en Acadie – Cliffy & Jerry, Ted Daigle & The Tremolos, Les Sœurs Gallant, The Gemtones, The Brunswick Playboys, Les Marogeays, Patricia Gallant, The Sonemen, Eight Point Five –, tous.tes tombé.e.s dans l’oubli aujourd’hui.
Effacée de la mémoire populaire, la musique rock en Acadie est pourtant d’une qualité supérieure qui surprend les auditeur.rices et les amène à questionner les circonstances de son oubli : comment se peut-il qu’une musique pop comme celle-ci soit oubliée ? Toutes pistes mènent aux conditions sociales, politiques et économiques qu’on reconnaît à la communauté acadienne de l’époque; conditions dont les effets se font sentir encore aujourd’hui et dont l’héritage, comme le suggère Rémi Belliveau, est à (dé)construire. »
– À l’est de vos empires, hiver 2022
Presse
Montréal Campus : Entrevue avec Aurélie Moulun
À l’est de vos empires : Entrevue audio avec Michelle Drapeau
l’Acadie Nouvelle : Entrevue avec Sylvie Mousseau
Radio-Canada Ottawa : Article par Marika Bellavance