L’Empremier live at Beaubassin (1970) [2021-2025]
L’Empremier, Live at Beaubassin (1970) est un projet artistique alliant recherche historique interdisciplinaire ainsi que performance, musique, documentation, fiction et surtout cinéma. L’œuvre prend la forme d’un long métrage citant le film Live at Pompeii (1972, 1974) d’Adrian Maben où l’on voit le groupe mythique Pink Floyd jouer (notamment) dans l’amphithéâtre vide de cette fameuse ile détruite par l’éruption volcanique du Mont Vésuve. Dans le cas de Live at Beaubassin, les ruines du Fort Beauséjour – situées à la frontière entre le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse – servent de scène dans laquelle les esprits du passé (ceux des ancêtres acadien·ne·s, condamné·e·s ici, en 1755, à la déportation et à des années d’errance) sont convoqués comme spectateur·ice·s fantomatiques.
Adoptant le décor de l’été 1970, ce film met en scène pour une deuxième fois un chansonnier acadien fictif, l’alter ego Jean Dularge – en voie de devenir Joan Dularge – alors qu’iel approche la décennie tumultueuse des années 1970, préoccupé·e par l’actualité LGBT[Q2IA+] et motivé·e par sa condition de personne nouvellement trans-out.
Ainsi, Joan et son nouveau groupe L’Empremier s’inscrivent dans un courant musical de l’époque, soit le rock progressif, en devançant de dix ans un réel corpus acadien d’œuvres musicales progressives (1978-1979) enregistré par les groupes d’acadien·ne·s 1755, Beausoleil Broussard et Rocambol, ainsi que par l’artiste cajun Zacharie Richard. Ces artistes ont choisi le registre du rock progressif afin d’aborder la thématique du dépaysement provoqué par les histoires des déportations et expropriations des acadien·ne·s, ce qui se reflète dans leurs textes :
« J’ai vu ma terre enlevée. Ma famille faite prisonnière. J’ai entendu les bois crier. Les ruisseaux, les champs brailler » – Zachary Richard, Balade de Jackie Vautour (1978)
« On s’est fait dire par des maudits qu’on était obligés de s’en aller. J’ai perdu ma terre et mon jardin. Ils m’avons tout [enlevé] » – 1755, Kouchibouguac (1979)
« Parti comme qu’est y’a des choses qu’on oublie. Si on n’apprend pas à revenir, ce sera peut-être même plus chez nous » – Beausoleil Broussard (1979)
Dans L’Empremier live at Beaubassin (1970), Joan Dularge tend vers ce même registre en chantant ces mêmes chansons, mais puisqu’iel les chante à partir d’une posture transgenre, le discours du « dépaysement acadien » se voit glisser vers un discours sur la transitude en remplaçant toutes références textuelles au « pays » par des références aux frontières poreuses du corps (ex : chair au lieu de terre). Ainsi, la notion du « retour au pays » également retrouvé dans les chansons est remplacée par un retour à soi-même, à une « transitude intérieure » qui, dans l’expérience de Joan, a été refoulée dès l’enfance par une socialisation genrée.
Images de plateau par Winnifred B. Lanteigne. Cliquer pour faire déferler les photos.