Les Mikeys, hier et aujourd’hui (2015)
English text follows.
Texte produit pour la publication de l’exposition Les Mikeys de Paul Édouard Bourque :
C’est le printemps de 1978. À quelques mois du vingtième anniversaire de la publication de son œuvre monumentale The Americans, le photographe américain d’origine suisse Robert Frank est de passage en Acadie, et se retrouve dans les couloirs du Département des arts visuels de l’Université de Moncton. À ses côtés, son ami Francis Coutellier, professeur de peinture et de sérigraphie, qui l’a invité à présenter aux étudiants une sélection de ses œuvres cinématographiques, dont Pull My Daisy et Cocksucker Blues. En cet après-midi de visites des locaux du département, leur promenade les amène aux ateliers, dont l’un est occupé par les étudiants et futurs artistes acadiens Jacques Arseneault et Paul Édouard Bourque. C’est ici que Robert Frank, apercevant un amoncellement de sérigraphies enduites de peinture, fait remarquer à Bourque, leur créateur : « I like your paintings, they’re like the weather, always changing ». À l’instant même on ne le sait pas encore, mais les œuvres en question figurent parmi les premières d’une longue série que l’on connaîtra un jour sous le nom des Mikeys.
Entreprise comme projet extracurriculaire, la série vit ses débuts au printemps 1977 lors de la troisième année d’études de l’artiste. Cherchant à contrer la multiplicité de l’image par l’acte rituel de la peinture, Bourque s’était mis à scruter les revues en quête d’une photo qu’il pourrait facilement agrandir et transférer sur une soie de sérigraphie. Saisi par la dualité paradoxale d’un enfant jouant le rôle d’un adulte à caractère violent, il s’attarda sur une photo promotionnelle de la comédie musicale Bugsy Malone (1976), ayant pour sujet le jeune Scott Baio vêtu d’un costume de mafioso. L’édition initiale d’une centaine de sérigraphies sur de multiples supports fut imprimée en quelques jours et servit à la création des premières œuvres de la série, dont celles aperçues par Robert Frank l’année suivante. Bien qu’extracurriculaires, les œuvres en question furent présentées pour la première fois lors de l’exposition des finissants 1978, parmi d’autres œuvres étudiantes de l’artiste.
La série, surnommée « le personnage au chapeau » par ceux qui entouraient l’artiste, demeura sans nom officiel pendant quelques années. Ce n’est qu’en 1980 que Bourque lui donna un nom définitif, à la suggestion de Patrick Condon Laurette, alors commissaire adjoint au Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse. À l’époque, Laurette était à la recherche d’artistes en vue de l’exposition Acadia Nova, la première grande rétrospective d’artistes acadiens, et « le personnage au chapeau » devait y figurer. Le nom Mikey fut alors adopté, inspiré d’une bande dessinée du bédéiste français Mœbius dans laquelle un extraterrestre intellectuel nommé Mikey (écrit Miké dans la version française) doit travailler comme esclave même s’il préférerait lire des livres. Bourque perçut dans ce personnage mutant une analogie pertinente dans laquelle lui-même était le patron et ses Mikeys, les travailleurs soumis, cachant sous leur surface mutée un monde complexe et intelligible. C’est alors que la série telle que nous la connaissons aujourd’hui fut inscrite en permanence.
À la suite d’Acadia Nova, la série demeura en production de façon soutenue jusqu’au début de 1984 quand un jour, une autre série, celle des Cowgirls, vint marquer soudainement sa fin temporaire. Or, on peut voir le moment précis de cette transition dans les Mikeys de l’époque puisqu’ils contiennent tous la même sérigraphie bleue qui constitue la base des Cowgirls. Pendant les trente prochaines années, Bourque revint à la série de façon assez sporadique, créant de nouveaux Mikeys sur demande ou dans le cadre d’autres projets. Malgré sa présence dans les expositions des années 1980 et dans des revues telles qu’Arts Atlantic en 1981 et Vie des Arts en 1984, la série s’est principalement fait connaître de bouche à oreille puisque la plupart des œuvres n’ont jamais été montrées publiquement ou appartiennent à des collections privées. Vénérée par les jeunes artistes qui l’ont redécouverte dans les années 1990, la série s’inscrit aujourd’hui parmi les plus reconnaissables de l’histoire de l’art acadien. D’ailleurs, un portrait de Bourque réalisé par Yvon Gallant en 1981 le représente peignant un Mikey. Une reproduction d’un Mikey servit également de muse au poète Gérald Leblanc qui s’en est inspiré pour écrire son poème rouge. Les Mikeys ont même fait l’objet de contrefaçons, puisqu’en 1978, une série d’impressions maintenant connues sous le nom de Faux Mikeys de Denis Richard a été réalisée avec l’accord blasé de l’artiste. À l’extérieur des conventions, les Mikeys ont vécu et vivent encore.
L’exposition rétrospective Les Mikeys de Paul Édouard Bourque rassemble pour la première fois au-delà de cinquante Mikeys créés par l’artiste au cours d’une carrière s’étalant sur plus de 35 ans, dont plusieurs n’ont jamais été exposés. Elle inclut des exemples variés de toutes les époques de la série, telles que les impressions originales en sérigraphie des années 1970, les interventions Cowgirl des années 1980, des électrophotographies des années 1990, ainsi que des compositions plus récentes. L’exposition est également accompagnée d’une sélection de documents d’archives incluant plusieurs photos, une sérigraphie « vierge » datant de 1977, des exemples de Faux Mikeys de Denis Richard et la projection de diapositives illustrant, entre autres, des Mikeys perdus ou détruits. De plus, l’exposition est alimentée par les regards critiques d’Herménégilde Chiasson et de Mario Doucette, qui signent des textes dans la publication qui a été rendue possible grâce à l’appui d’artsnb et de la Galerie d’art Louise-et-Reuben-Cohen de l’Université de Moncton.
J’aimerais remercier tous ceux et celles qui nous ont généreusement prêté leurs œuvres, ainsi que tous ceux et celles qui ont participé au développement et la réalisation de ce projet. Merci !
Rémi Belliveau, commissaire
Thumbnail :
Paul Édouard Bourque
Mikey, 1982
Screenprint and mixed media on panel
Photo: Jim Dupuis.
The Mikeys, then and now (2015)
Essay produced for Les Mikeys de Paul Édouard Bourque, a retrospective.
In the spring of 1978, a few months before his monumental work The Americans celebrated its 20th anniversary of publication, Switzerland-born American photographer Robert Frank travelled to Acadia, and to the halls of Université de Moncton’s Visual Arts Department. He was flanked by his friend Francis Coutellier, professor of painting and screen printing, who had invited him to present to the students select pieces of his filmography, including Pull My Daisy and Cocksucker Blues. Their afternoon visit through the department’s spaces led them to the studios, one of them being occupied by students and future Acadian artists Jacques Arseneault and Paul Édouard Bourque. When Robert Frank spotted a pile of screen prints daubed with paint, he turned to Bourque, their creator, and said: “I like your paintings, they’re like the weather, always changing.” No one knew it at the time but these works were the first of a long series that would later become known as the Mikeys.
Initially an extracurricular project, the series began in early spring 1977, while the artist was a third-year student. Searching for a way to counter the multiplicity of images through the ritual act of painting, Bourque had pored through magazines to find an image that could be easily enlarged and transferred onto a silk-screen. Struck by the paradox of a child playing the role of a violence-prone adult, he was drawn to a publicity shot for the musical Bugsy Malone (1976), featuring a young Scott Baio in mafioso attire. Over the next few days he printed an initial run of a hundred or so screen prints on a variety of supports, some of which became the first works of the series, and were among those viewed by Frank a year later. Despite their extracurricular status, these works were first shown in the 1978 graduating student exhibition among Bourque’s other student projects.
The series was without an official name for a few years, being first dubbed by the artist’s entourage as the “character with the hat”. Bourque only chose its definitive appellation in 1980, following the suggestion of Patrick Condon Laurette, then assistant curator at the Art Gallery of Nova Scotia. At the time, Laurette was on the lookout for artists to show in the first major retrospective exhibition of Acadian artists, Acadia Nova, and the “character with the hat” was to take part. The name Mikey was adopted from a comic strip by French cartoonist Mœbius in which an alien intellectual called Mikey (spelled Miké in the French version) is forced to work as a slave when he would rather read books. In this mutant character, Bourque perceived a pertinent analogy to himself as the boss and the Mikeys as his submissive workers, whose mutated surface concealed a complex but intelligible universe. Thus, the series as we know it today was immortalized.
Following Acadia Nova, the series remained in production until early 1984, when a new series, the Cowgirls, interrupted it abruptly. One can spot the exact moment the transition occurred, in the Mikeys sporting the same blue screen print that served as basis for the Cowgirls. Over the next thirty years, Bourque sporadically addressed the series, producing new Mikeys on demand or as part of other projects. Despite its presence in exhibitions throughout the 1980s and being featured in magazines such as Arts Atlantic in 1981 and Vie des Arts in 1984, the series has gained recognition mainly through word of mouth, since most of the works either have never been shown publicly or are part of private collections. Venerated by the young artists who rediscovered it in the 1990s, the series has now become one of the most recognizable in the history of Acadian art. Indeed, when Yvon Gallant painted the artist’s portrait in 1981, he chose to represent him painting a Mikey. A reproduction of a Mikey was muse to writer Gérald Leblanc, inspiring his poem rouge. The Mikeys were even subject to counterfeiting, in 1978, when a series of prints now known as the Fake Mikeys were produced by Denis Richard with the offhand consent of the artist. Outside the bounds of convention, the Mikeys were born and live on.
This retrospective entitled The Mikeys of Paul Édouard Bourque brings together for the first time over sixty Mikeys created by the artist during his 35-year plus career, some of which have never been placed on exhibit. Included are selected variations from the series’ different eras: original screen prints from the 1970s, Cowgirl interventions from the 1980s, xerographs from the 1990s (see works 50 - 52), as well as more recent compositions. Selected archival documents are also featured in the show: several photographs, one “virgin” screen print from 1977, examples of Denis Richard’s Fake Mikeys, and a slide show illustrating Mikeys that have been lost or destroyed. The exhibition is complemented by critical texts from Mario Doucette and Herménégilde Chiasson included in the publication which was produced with the support of artsnb and Université de Moncton’s Galerie d’art Louise-et-Reuben-Cohen.
I wish to express my gratitude to the many art lovers who have generously lent works from their collections, as well as everyone who has contributed to the development and realization of this project. Thank you!
Rémi Belliveau, curator